Le développement durable en grande consommation va-t-il se fracasser contre l’inflation en 2022?

En 2021, 28% des consommateurs européens se déclaraient éco- actifs (source GFK), c’est-à-dire fortement impliqués dans les enjeux environnementaux et acteurs de la réduction de leur emprunte. Les matières premières, l’énergie et les coûts de transports maritimes ont explosé en l’espace d’un an. Dès la rentrée dernière et en préambule des négociations commerciales, les industriels ont annoncé la nécessité de hausses tarifaires dépassant parfois les deux chiffres. La fin des négociations a semble-t-il abouti à une hausse des tarifs de 3% pour les produits alimentaires. Dans quelle mesure ces augmentations vont-elles se répercuter sur les prix de reventes à partir de mars-avril 2022 ? Et surtout, quels sont les impacts sur la consommation des ménages : moins de quantités, plus de MDD ou de petits prix ? Une accélération de la croissance des discounters qui ont plus que jamais le vent en poupe tant par leur trafic et la part de marché que par leur image modernisée et de plus en plus déstigmatisée ? En parallèle, on assiste à une baisse du bio depuis fin 2021, -3% versus 2020.

Les distributeurs et les marques se sont engagés dans les voies du développement durable et ont investi en points de vente et dans leurs offres pour proposer des produits biologiques, ou locaux ou plus écologiques aux consommateurs. Ces nouvelles offres nécessitent souvent des investissements additionnels dans les chaînes de production, dans la logistique et dans la recherche et développement notamment. Ces surcoûts se répercutent souvent dans le prix de vente consommateur. Mais face à la situation de tension sur le pouvoir d’achat des ménages et leur perception de ces offres « plus chères », ceux- ci sont tentés d’arbitrer vers un retour à une offre plus classique mais plus en ligne avec leur porte-monnaie. La consommation responsable, parce qu’encore minoritaire et émergente, coûte cher. 

Dès lors, le risque est double :

  • Décourager les industriels et les distributeurs à développer les offres de produits bio, écologiques, responsables…
  • Polariser les consommateurs entre les classes plus riches qui peuvent continuer de consommer ces produits, et une frange moins aisée qui doit arbitrer entre sa continuité de consommation et ses achats responsables. Cela pourrait aboutir à un risque de culpabilisation de cette dernière partie de la population qui n’aurait pourtant pas les moyens de consommer responsable, ce qui n’est pas souhaitable.

Faut-il pour autant mettre entre parenthèses les démarches RSE en grande consommation face à l’inflation ?

Le category management, par son approche hollistique et collaborative peut-il résoudre cette équation ? Certaines pistes de partenariats et de projets catégoriels vont dans ce sens avec le digital comme support et facilitateur.

Intégrer le développement durable dans des projets serviciels de category management

La méthode d’ethnomarketing de Dominique Desjeux peut apporter un fil conducteur à l’analyse des 7 étapes du parcours d’usage et du parcours d’achat pour identifier les nœuds d’effort (et donc les risques d’abandon du consommateur) pour trouver des solutions. Les engagements sociétaux et environnementaux passent certes par la conception des produits mais les offres de services complémentaires qui y sont associés peuvent aussi être envisagés sous cet angle. Par exemple, la possibilité d’améliorer la transparence vis-à-vis de la traçabilité des produits grâce à la blockchain peut être un levier à développer quant à l’origine et au procédé de fabrication. Améliorer la visibilité de l’origine des matières premières, leur transport, leur lieu et leurs conditions de stockage constituent aussi des leviers d’optimisation de l’approche RSE sans répercution sur le prix du produit en lui-même. Depuis 2018, Carrefour s’appuie sur la technologie de la blockchain pour améliorer la traçabilité des produits alimentaires de sa filière qualité Carrefour comme les œufs de Loué. En 2019, cette approche a été progressivement étendue à d’autres catégories comme le textile avec sa marque Tex dont les données sont accessibles au consommateur via les QR codes des étiquettes.

application de tri Citeo Alkemics

Les packagings arborent également de plus en plus d’informations, de pictogrammes et de codes quant à la fin de vie des produits ou packagings qui sont la plupart du temps opaques ou mal compris des consommateurs. Depuis 2021 Alkemics (plateforme de gestion de data entre marques et distributeurs) et Citeo ont déployé une initiative conjointe pour faciliter le geste de tri des Français. En scannant le code barre d’un produit via leur application « Guide du Tri Citeo », le client obtient les informations de recyclabilité du produit concerné et les consignes liées à sa localisation. 

Certaines entreprises initient également des partenariats serviciels pour récupérer leur packaging ou leurs produits usagés afin les recycler. Initié en 2018 avec Terracycle et Monoprix, Procter & Gamble avec sa marque Gillette étend en 2022 son partenariat de récupération de produits d’hygiène beauté à L’Oréal et Unilever via la marque Signal. Des boxes de récupération des emballages habituellement non recyclables sont récupérés en points de vente et permettent à Terracycle de les recycler pour en faire des équipements de jardin à destination d’associations par exemple. D’autres marques ce sont lancées dans la démarche comme Mapa avec ses gants à usage unique.

 

Compenser la mise à mal du développement durable par le prix via les autres leviers catégoriels

L’assortiment: élargir les gammes concernées par les dimensions durables

L’assortiment est souvent le premier concerné par les démarches RSE avec le développement d’offres produits et de gammes biologiques, écologiques… Intégrer la dimension RSE à son offre de produit ne devrait pas systématiquement impliquer le développement d’une offre « verte » premium. Cette idée a notamment été soulevée par Philippe Goetzmann lors d’un podcast des Voix de la Conso. Pourquoi les offres produits écologiques seraient nécessairement plus chères ? En effet, la dimension durable d’un produit vient s’ajouter à d’autres caractéristiques qui en font souvent une référence haut de gamme. Et si certaines caractéristiques produits étaient retirées au profit d’une dimension écologique pour en faire un produit plus accessible économiquement ? Une référence de bonne qualité mais plus simple et écologique. Repenser les assortiments en intégrant des dimensions écologiques à chaque quartil d’offre de prix apparaît nécessaire pour démocratiser ces usages.

Les enseignes et les marques ont pour habitude d’optimiser leur péréquation de marge en fonction des rotations des produits. Et si ce n’étaient plus les trafics builders mais les eco-builders qui voyaient leurs marges réduites pour permettre leur développement. Pourquoi ne pas intégrer une dimension spécifique dans l’estimation des performances de ventes des produits écologiques ou bio pour préserver leur pérennité en rayon ou du moins allouer obligatoirement une part de linéaire minimum  à ces offres dans l’ensemble des rayons?  Si l’usage de produits ou matériaux recyclés apporte des surcoûts de par leur traitement et l’adaptation des outils de production, pourquoi ne pas échelonner leur transition dans le temps et le communiquer aux clients : en 2022 c’est seulement X% de matériaux recyclés, mais la marque s’engage à augmenter ce taux à horizon de 1,2,3 ans…

 

Et si la généralisation des offres de produits bio à tous les niveaux de prix passait par les discounters? Lidl a annoncé le lancement d’une gamme de cosmétiques Bio sous sa marque propre Cien. L’enseigne de hard discount qui a le vent en poupe en termes de trafic propose depuis mars 2022 une offre bio de beauté accessible aux foyers qui ont des paniers d’achats limités. La marque Cien a déjà acquis une bonne réputation quant à la qualité de ses soins du visage. Le déploiement d’offres écologiques dans les discounters peut également favoriser la couverture de l’ensemble des typologies de consommateurs et inciter les autres distributeurs à  pousser des offres écologiques plus simples et au positionnement prix moins premium.

La PLV: limiter les déchets et introduire la circularité dans leur gestion

Intégrer la dimension d’éco-conception est aussi un enjeu dans le cadre du développement de PLV sur le point de vente. Elle est nécessaire en magasin pour orienter et accompagner le consommateur dans ses achats mais elle est aussi source de déchets (100 000 tonnes en moyenne par an d’après l’association POPAI) du fait de son caractère éphémère. La marque de change Lotus Baby s’est emparé en 2020 du sujet en développant avec l’enseigne Carrefour, le fournisseur de modules Camelon Group et La Poste, un système de gestion de collecte des PLV usagées du rayon des couches appelé « Green Box ». Le principe est simple : les goulottes de rangement en plastiques usagées dans les hypermarchés sont récupérées par les commerciaux de la marque qui les déposent dans une Green Box dans un des 23 000 points relais de La Poste. Cette dernière les expédie à Camelon Group qui en recycle une partie (20% environ) en nouveau matériel, réduisant ainsi 26% des émissions de CO2.

gestion circulaire de la PLV Lotus Baby chez Carrefour
Extrait de ECR Community - Circular Economy Review 2022

La promotion : la gamification pour récompenser et faciliter les nouveaux usages comme le vrac ou le réemploi

Alors que se développe une économie de la paresse via le e-commerce et notamment le Quick Commerce, le vrac et le système de consigne nécessitent un taux d’effort accrus de la part des consommateurs. Il est donc nécessaire de trouver des solutions pour les accompagner, leur faciliter la tâche et limiter la charge mentale: offrir des bocaux de conservation à partir d’un certain seuil d’achat, développer une application ou un système de rappel lors de la livraison en drive pour ne pas oublier ses contenants, etc… Des promotions via la collection de points remises différées sur l’achat d’autres produits peut constituer un levier d’encouragement à l’usage du vrac ou du réemploi. Par exemple, depuis février 2022, Monoprix, en partenariat avec l’e-commerçant Bocoloco, teste à Paris un mobilier contenant une offre de produits alimentaires vendus en bocaux en verre. Le retour des bocaux par le client en magasin permet d’obtenir un bon d’achat de 1€ dans le point de vente.

Une pédagogie et une communication transparentes, humbles et factuelles

Le vrac et le réemploi nécessitent également d’importants moyens pédagogiques pour faire connaitre ces services et leurs avantages comme la maitrise de la dépense, la possibilité d’acheter la juste quantité… Une réflexion sur l’implantation merchandising en macro-location, sur les catégories pertinentes et sur leur approche du service doivent s’engager sous forme de tables rondes. Aujourd’hui beaucoup de tests isolés ont été initiés et l’offre actuellement majoritairement déployée en GSA classique contient principalement des produits d’épicerie sèche. Quelle légitimité au développement d’offres en DPH (du coton en vrac, des capsules de lessives vendues à l’unité ou avec une boite réutilisable et consignable…) ?

L’IDC et Réseau Vrac ont développé un guide qui propose un cadre de réflexion quant au déploiement de projets de vrac et de réemploi. Ce guide très complet, fruit de partenariats avec des enseignes, des marques, des start-up servicielles, des consultants, etc…  propose un cadre pour accompagner les consommateurs en transition ou qui n’ont pas encore intégré des gestes de consommation responsable à toutes les étapes de leur parcours d’achat.

Côté communication, les marques et les enseignes ont aussi une marge manœuvre encore importante, sans pour autant tomber dans le greenwashing. En effet, d’après une étude réalisée par LSA-Immediacenter, 70% des personnes interrogées sont incapables de mentionner de manière spontanée une marque de grande consommation responsable. 73% estiment que les marques ne communiquent pas suffisamment de manière informative sur leurs engagement en matière de RSE.

L’inflation, l’aiguillon qui vient faire repenser la façon de déployer le développement durable en grande consommation

La répercussion en cours de l’inflation sur la grande majorité des biens de consommation  ne doit pas balayer d’un revers de manche tous les projets de développement durable des marques et des enseignes. Elle souligne la nécessité d’étendre les solutions et les approches progressives durables à l’ensemble de l’offre produits et aux services pour rester accessibles à l’ensemble des typologies de consommateurs. Le category management se doit d’être plus agile et plus créatif pour intégrer le développement durable à sa démarche.

Sources:

A Global Review of circular economy, case studies from retail and CPG sector, Ché Mc Gann, janvier 2022, en téléchargement libre sur le site d’ECR Community

Le Guide du Vrac et du Réemploi, pour sortir de l’usage unique, Réseau Vrac et Institut du Commerce, 2021

Et si la consommation responsable était un mythe? Interview de Sylvie Paryse, 6 janvier 2022, lehub.laposte.fr

Episode 20 du podcast d’Olivier Dauvers, Les Voix de la Conso, spécial bilan année 2021

Recul du nombre de consommateurs bio en 2021 [étude] , Camille Harel, LSA du 4 mars 2022

2 réflexions sur « Le développement durable en grande consommation va-t-il se fracasser contre l’inflation en 2022? »

  1. Bonsoir,
    le catégory management est une excellente vision des attentes conso et de l’organisation du retail en conséquence. Nonobstant ce constat, existe t-il des formations, des spécialistes du catégory management 2.0 qui bouleverse certaines de nos certitudes?
    Par avance merci,

    1. Bonjour, il existe des formations sur le category management et sur le e-category management. Celles sur le category management restent souvent centrées sur le point de vente physique, et celles sur le e-category management se focalisent sur le e-commerce (drive, pure player, e-retail media…). C’est un des « éléments manquants » que j’avais souligné lors de ma thèse professionnelle en 2020: une vision et donc une formation du « category manager omnicanal ». Néanmoins, LSA organise régulièrement des sessions avec l’aide de l’IMPP (organisme historique en France poru le category management). Je conseille également de passer par Sylvie Lefèvre de Kantar Retail qui organise des formations notamment sur le category management qui sont excellentes.
      J’espère avoir répondu à votre question 🙂

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