Le category management du Quick-commerce : entre économie de la paresse et impulsion

Le Quick-commerce est une composante de ce qu’appelle Olivier Badot dans l’ouvrage Distribution 4.0 le « commerce mobiquitaire » : « la possibilité d’acheter n’importe où, n’importe quand via des applications et devices mobiles ». Si l’on peut s’interroger sur la viabilité et la pérennité de ce nouveau service e-commerce, il n’en demeure pas moins qu’il a un impact sur la gestion des catégories. On peut dans un premier temps y voir l’émergence d’un point de contact additionnel avec le shopper vers une « viscosité » du commerce portée à son maximum. Il est important d’identifier les différents modèles de Quick-commerce car ils peuvent avoir un impact sur la définition des assortiments.

L’émergence du Quick-commerce : la livraison à domicile dopée

Ce concept de livraison ultra rapide de produits de grande consommation en « moins de 30 minutes » a été initié aux Etats Unis par Kozmo.com entre 1998 et 2001, rapidement arrêté faute de rentabilité. Relancé en 2013 aux Etats Unis par Gopuff qui visait à l’origine les étudiants, le Quick-commerce a bénéficié de la crise sanitaire pour accentuer son déploiement depuis plus d’un an.  

 

En 2021, ce service représente en France environ 122 millions d’euros, soit environ 1,7% du secteur de la livraison à domicile d’après IRI. Le taux de pénétration demeure encore limité et concentré dans les grandes villes où le maillage urbain est suffisamment dense pour garantir un minimum de clients potentiels à une distance de 10 minutes du point de stockage et de préparation de commande, ou « dark store » (appelé également MFC ou micro fulfillment center aux Etats-Unis). Ces nouveaux retailers tentent de capter ce que Frédéric Filloux appelle « l’économie de la paresse » qui continue de fortement progresser dans les grandes villes. Celle-ci a bénéficié de la crise sanitaire comme « prétexte » ou du moins levier facilitant l’accélération.

La différence du Quick-commerce avec les autres services de e-commerce  : le temps

Le Quick-commerce est considéré comme la troisième génération de mode de commercialisation des produits de grande consommation.

Le Quick-commerce porte la « viscosité du commerce » (à l’opposé du commerce de destination) à son extrême. Le commerçant vient s’implanter là où se trouve le shopper, c’est-à-dire son canapé par l’intermédiaire de son smartphone. La livraison à domicile rapide accélère la désintermédiation entre le rayon du dark store et l’armoire du consommateur. Avec la LAD (livraison à domicile), le « taux d’effort » du shopper est réduit très fortement, avec le Quick-commerce, c’est le frein de l’attente qui est levé. Seul le levier prix permet l’arbitrage du shopper sur son mode d’achat face à son magasin de proximité, concurrent le plus direct par son modèle du Quick-commerce. Les frais de livraison de ce service peuvent varier entre 1,80€ et 4,99€ et ils peuvent diminuer en fonction de paliers de commandes.

Pour un panier limité (en quantité et valeur) ou pour un achat de dernière minute complémentaire à un plein de courses, quel prix le client est-il prêt à payer pour passer moins de temps à se rendre dans son point de vente le plus proche, trouver son produit et attendre en caisse ?  Telle est la base d’arbitrage du parcours d’achat de proximité du shopper.

L’attractivité prix se joue également sur l’offre de produits proposée. Actuellement les Quick-commerçants s’approvisionnent auprès de grossistes ou de centrales d’achats partenaires pour créer leur offre produits. Leur marge de manœuvre en termes de prix de revente est limitée et leur positionnement reste quasiment en ligne avec celui d’une enseigne de proximité (donc plus élevée qu’un hyper ou qu’un discounter alimentaire). Néanmoins, les différents types de business models de ces acteurs du Quick-commerce peuvent avoir un impact à moyen terme sur l’évolution de la structure de l’offre avec notamment l’apparition de produits de marques de distributeurs ou de produits en marques propres des Quick-commerçants qui pourraient faire baisser la perception de la valeur du panier moyen.

Les différents modèles du Q-commerce

En Europe il existe plus d’une dizaine de start-up qui se sont lancées sur le service du Quick-commerce. Des acteurs de la distribution et de la livraison élargissent également leur portefeuille de services en s’appuyant sur leur cœur de métier historique pour proposer un service de livraison rapide ou un service de livraison de produits alimentaires différents d’une offre de restauration.

Voici une cartographie des différents modèles d’acteurs qui se sont lancés sur le Quick-commerce avec des exemples de start-up et d’entreprises.

4 modèles de service Quick-commerce alimentaire

Après l’effervescence de 2020-2021, des premiers rapprochements, des rachats et des partenariats laissent entrevoir la nécessaire consolidation du secteur. Ces modèles ont également un impact sur l’offre de produits proposés aux shoppers. En effet, les Quick-commerçants sont pour le moment dépendants du portfolio de leur grossiste ou de leur partenaire distributeur. L’offre produits proposée compte en moyenne entre 1000 et 2500 références (appelées également sku, stock keeping unit, unité de gestion de stock). Dès lors, l’ensemble de ces contraintes impliquent un certains nombre d’impacts sur la gestion catégorielle de l’offre par ces distributeurs.

Définir le bon assortiment, nerf de la guerre catégorielle du Quick-commerce

La définition de l’assortiment optimal pour recruter et maximiser la composition et la valorisation des paniers doit tenir compte d’un certain nombre de notions exacerbées du fait de la spécificité de ce service. L’urgence de l’usage caractérise l’offre produits entre impulsion et non-substitution.

La livraison se faisant en moins de 15 minutes après avoir passé commande, les produits concernés doivent être considérés comme étant de nécessité importante ou d’usage à court terme (dans la journée). Il s’agit de catégories de produits dont le report d’achat peut s’avérer problématique ou obsolète. Ainsi, les catégories dont un des leviers d’achat fort est l’impulsion peuvent prendre tout leur légitimité au sein du portefeuille produits : les glaces, les confiseries, les chips ou lesgâteaux apéritifs, etc… Ces catégories d’impulsion peuvent voir leur demande s’accentuer en fonction d’une certaine « saisonnalité » ou en fonction d’évènements extérieurs au foyer acheteur : une rencontre sportive de type match de football peut susciter l’envie de commander des boissons et des produits apéritifs sans vouloir se déplacer. Une journée de canicule peut susciter l’envie de boisson fraîche ou de glace… La flexibilité des assortiments est donc ici accentuée de par le nombre de places de picking (ou emplacements de stockage et préparation de commande) limités. En effet, si un hypermarché adapte progressivement la taille de ses linéaires à la saison (les thés et infusions, les soupes et potages, etc…) ou s’il peut jouer sur ses emplacements temporaires de tête de gondole ou d’allée centrale lors de temps forts promotionnels liés à des évènements (la chandeleur, la coupe du monde de football, etc…), le distributeur de Quick-commerce doit en faire de même sur son assortiment « permanent ». Cela nécessite une forte réactivité et des arbitrages du fait de sa capacité limitée de stockage. Certaines catégories peuvent également jouer sur le levier de manque et de rupture problématique pour le quotidien à court terme : le papier toilette, le lait des céréales pour le petit déjeuner, la farine pour réaliser le gâteau du diner… Néanmoins « cette peur de manquer » doit être mise en parallèle de la substituabilité de certains produits par d’autres. Si la substituabilité permet de couvrir un niveau suffisant du besoin du consommateur à court terme, alors l’achat sera reporté à un panier d’achat plus conséquent réalisé en magasin ou en drive. S’il apparait compliqué de substituer par exemple un paquet de couches par un autre produit présent dans son domicile, certains aliments peuvent être substitués par d’autres ponctuellement. Il s’agit donc d’évaluer le caractère essentiel, indispensable mais surtout non substituable de certains produits pour les détenir dans l’assortiment.

L’offre produits concurrente de la livraison de repas à domicile

Si le Quick-commerce est un concurrent direct des enseignes de magasins de proximité comme Franprix, Cocci Market, Carrefour Contact, etc… Il  peut devenir également une solution alternative à la livraison de plats préparés de la restauration. C’est également une des raisons pour laquelle les plateformes de services de livraison de repas comme Deliveroo ou Uber Eats  ont investi le champ du Quick-commerce : proposer des repas préparés issus de restaurants ou de dark kitchen ou des courses alimentaires de dépannage pour un dîner ou un apéritif impromptu par exemple.

Dans ce cas, les catégories de produits comme les sauces culinaires, les desserts à partager, les sodas, etc… Peuvent être intéressants à détenir. Des solutions de repas clés en main sous forme de kits peuvent être également une opportunité de recrutement de clients par les Quick-commerçants. Des passerelles servicielles peuvent même se créer entre des sites de recommandation de recettes et la création de commandes dans une application de Quick-commerce pour le repas du jour : s’il ne manque que quelques ingrédients, il n’est plus nécessaire de reporter la réalisation de la recette ou de sortir acheter les produits manquants. Des sites comme Marmiton.com se sont déjà associés à Carrefour et Fly Menu pour proposer à partir des recettes du site gastronomique des listes de courses dans le panier du site du drive de l’enseigne.

Pour conclure, le Quick-commerce apporte un vent nouveau au sein de la structure des enseignes alimentaires (et de la restauration). Il impose aux category managers de les considérer dans leurs points de contacts avec le shopper et dans les parcours d’achat hybrides (ici concentrés dans un smartphone) pour élaborer des assortiments pertinents. Le foisonnement de l’offre actuelle de services de Quick-commerce va nécessairement entraîner une course à la part de marché critique et vraisemblablement une guerre des prix (sur les frais de services ou sur les prix de vente des produits eux-mêmes) et donc à une consolidation du secteur pour 2022.

Sources:

The Modern Milk Man Sits in the Dark: demanding more from on-demand delivery, Stuti Pandey, Maniv Mobility, 15 juillet 2021

Quick-commerce: pioneering the next generation of delivery, Robin Nyerinck, Delivery Hero, 29 avril 2020

Lancement de Carrefour Sprint, le Quick-commerce by Carrefour Uber Eats et Cajoo, Viuz.com, 28 octobre 2021

Quick-commerce: tous ces acteurs à connaître!, Julie Delvallée, lsa-conso.fr, 10 juin 2021

Europe’s quick-commerce startups are overhyped: Lessons from , Alexander Kremer, techcrunch.com, 25 août 2021

Distribution 4.0, Olivier Badot, Jean-François Lemoine et Adeline Ochs, Pearson, France

 

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