L’assortiment, levier amplifié par le digital en grande consommation

(Article initialement écrit en mai 2020)

Des nouveaux parcours d’achat hybrides qui opposent hypermarchés au binôme proximité-drive ou au e-commerce, des rayons dévastés, des innovations difficiles à lancer, des petites marques en difficulté et des arbitrages consommateurs en faveur de la disponibilité produit aux dépens des choix et préférences… Les assortiments de grande consommation sont clairement chamboulés dans cette crise du Covid -19. Néanmoins celle-ci ne fait qu’accentuer un certain nombre de phénomènes déjà à l’œuvre avec la transformation digitale. Cela plaide en faveur d’une nouvelle approche de la stratégie d’assortiment par le category management pour définir ce qu’appelle Kantar le « right-size assortment mix ».

La théorie de la « Longue Traîne » du e-commerce et ses limites dans l’assortiment en grande consommation

Ce mécanisme économique a été développé par Chris Anderson en 2004 avec l’émergence des moteurs de recherche et des pure players sur Internet comme Amazon, Rhapsody, E-Bay…

assortiment en e-commerce et phénomène de longue traîne

Avant l’explosion d’Internet, les marchés de biens et services étaient tirés par un nombre de succès limités. Avec la fin de la contrainte des espaces définis (comme les linéaires disponibles en magasin), la tête de la demande, c’est à dire les marques à fortes rotations, a vu apparaître de nombreuses offres de niches concurrentielles. 

Par exemple, le marché des couches bébé composés d’environ 200 références en hypermarché moyen au début des années 2000 avec 2 intervenants nationaux (parfois une marque locale) et une marque de distributeur, a vu apparaitre des dizaines de petites marques et la démultiplication de références sur des segments spécifiques: les couches lavables, les personnalisables, les langes de tailles et de poids intermédiaires, des lots de différentes quantités, etc… Plus de 2 000 références de couches bébé sont proposées sur Amazon.

Ces nouveaux produits ciblés et spécifiques présentent un intérêt économique à considérer au même titre que les biens et les services de masse. D’après Chris Anderson, c’est l’accumulation des ventes de ces produits dits « de niches » qui permet de développer de manière exponentielle l’offre et de devenir une force économique. Pour les biens de consommation physique, le journaliste américain parle plutôt de commerce hybride.  Les économies viennent à la fois des coûts logistiques optimisés (grâce à de grands entrepôts ou quand le stockage est supporté par le fournisseur et non plus le distributeur) et d’une offre massifiée sur un site web avec les outils de filtrage et de recherche. L’offre n’est pas illimitée tout de même car il existe un risque de coût de stock et des frais d’expédition (contrairement aux biens dématérialisés comme la musique).

La démarche de définition et de gestion de l’assortiment dans les marchés de longue traîne est différente des marchés historiques car elle se fait en post-filtrage et non pas sur le principe de prévision comme pour les lancements d’offre en supermarché. Il y a moins de barrière à l’entrée, mais l’offre non rentable finit par disparaître d’elle même.

Pour Chris Anderson il est indispensable d’offrir à la fois des produits de masse qui constituent des repères pour les clients et des produits de niches pour satisfaire tous les goûts.

Avec ce phénomène de longue traîne, beaucoup de e-commerçants ont vu l’opportunité de référencer un maximum de fournisseurs et de produits pour développer une offre pléthorique face aux plus grands hypers contraints pas leurs mètres carrés. Ils ont vu également la possibilité de développer leur chiffre d’affaires en proposant des offres de services pour monnayer les données comportementales des consommateurs et pour optimiser l’émergence des références proposées dans des catalogues pléthoriques.

Les petites marques y ont vu l’opportunité d’émerger et de trouver des alternatives aux circuits historiques pour lancer leurs gammes face aux leaders historiques. Les grandes marques, quant à elles, ont vu la possibilité de déployer l’ensemble de leur catalogue produits sans être limitées par des contraintes de place disponible en rayon ou de négociations commerciales.

 

L’impact et les imites des assortiments à rallonge sur l’expérience d’achat

En effet, ce mécanisme comporte certaines limites. Vouloir pousser tout le catalogue produits en ligne n’est pas une tactique efficace de gestion des assortiments et beaucoup de marques de grande consommation en sont revenu.

Ce n’est pas le développement de l’offre qui contribue à la croissance du chiffre d’affaires via l’expansion des ventes des produits de niches. Ce sont plutôt tous les outils d’aide au choix (filtres, arborescences…) et le contenu des descriptions produits (dont les précieux avis consommateurs) qui sont les véritables contributeurs au mécanisme de longue traîne et donc au déplacement de la consommation des produits de masse vers les produits niches. C’est la capacité d’information et d’accompagnement des utilisateurs dans leurs choix (rôle historique du merchandising, du balisage, des outils d’aide au choix et du personnel en rayon) pour trouver le produit qui leur correspond qui fait le succès d’une offre large en ligne.

Le lien positif entre la diversité de l’offre proposée et la variété consommée peut être remise en question au regard de l’économie de l’attention. Une offre très large de produits implique des coûts cognitifs liés à la prise de décision : lire toutes les fiches-produit pour pouvoir comparer toutes les références peut prendre du temps. Cette contrainte est d’autant plus forte sur des achats routiniers (l’achat de papier toilette par exemple) ou l’implication est moindre que certaines catégories.

Un consommateur va donc arbitrer et va préférer, dans un temps donné limité, opter pour une offre raisonnable et satisfaisante plutôt que de passer du temps à identifier et comparer l’ensemble de l’offre proposée pour choisir la meilleure. L’attention est une ressource limitée, comme le temps disponible.

Le juste équilibre entre proposer une offre suffisante mais ne pas la rendre submergente doit être défini par catégorie pour adapter l’assortiment optimal.

Le travail de recommandation du « juste » assortiment entre online et offline est d’autant plus important avec des parcours d’achats de plus en plus complexes.

L’intelligence artificielle devient un support d’aide au category manager pour la définition de son assortiment dans un contexte d’hybridation des parcours d’achat

Les consommateurs ont multiplié leurs points de contacts grâce à Internet. Leurs parcours d’achat sont devenus hybrides et complexes. Ils veulent avant tout une expérience d’achat sans couture au sein d’une même enseigne qu’ils passent par le drive, la livraison ou le point de vente physique. Un produit vu sur un site doit être commandable ou doit être identique à celui trouvé en point de vente (ce qui implique l’importance de la mise à jour des fiches produits).

Chaque circuit a ses opportunités (large offre pour les hypers et les sites e-commerce) et ses contraintes (rentabilité, stockage pour la proximité et le drive) dont il faut tenir compte dans l’articulation des références proposées.

La crise du Covid-19 a d’ailleurs secoué les assortiments, notamment avec l’essor du circuit du drive, qui, de par son business modèle, propose une offre rationalisée aux dépens notamment des PME comme en témoigne l’article de Philippe Goetzmann dans LSA. Il envisage un risque de réduction de l’offre alimentaire du moins à court et moyen terme.

arborescence assortiment Intermarché par In The Memory

Certaines startups comme In The Memory ont développé des solutions d’intelligence artificielle capable de prendre en compte l’ensemble des données disponibles sur les différents circuits d’une même enseigne: les sorties caisses, les données des porteurs de cartes, etc… Avec ces solutions, il est possible d’agréger plus finement et de synthétiser les datas disponibles en matière de comportement des consommateurs pour optimiser les assortiments. Il ne s’agit plus pour les category managers des enseignes de prioriser leur recommandation sur la base des historiques de ventes mais de prendre en compte les arbres de choix, les habitudes, les opportunités et les attentes des consommateurs sur l’ensemble des points de contact pour optimiser l’existant et prévoir les futures offres.

C’est tout l’enjeu de la plateforme cocréée entre Intermarché et In The Memory pour faciliter l’accès à la data pour les category managers et les acheteurs de l’enseigne.

Les stratégies d’assortiment ont effectué un énorme changement de paradigme avec l’essor du digital visuel. Avec l’émergence du vocal, ce sont des nouveaux usages à anticiper.

L’émergence des assistants vocaux implique également de nombreux enjeux sur la gestion des assortiments.

En 2019 on comptait entre 16 et 20 millions d’utilisateurs d’assistants vocaux, soit près de 30% de la population française. On assiste donc bien à l’émergence d’un nouveau canal relationnel et, à moyen terme, un canal transactionnel pour les distributeurs et les marques. La personnalisation de l’expérience client est un enjeu dont certains distributeurs ont commencé à s’emparer en faisant des partenariats avec les GAFAM comme par exemple Leclerc avec son « Mémo Courses » sur Google Home. 

Le consommateur, via son compte client, se connecte sur le site du magasin ou du Drive et peut directement établir sa liste de courses à l’oral. A partir de l’historique d’achat de l’utilisateur (sur des achats répétitifs sur des catégories à fortes ventes moyennes hebdomadaires), l’assistant vocal peut aller directement positionner le produit « habituellement » acheté dans le panier.

Ce nouvel usage du digital est assez paradoxal car malgré la facilité du langage, le consommateur n’a accès qu’à une offre dirigée et restreinte alors que l’utilisateur s’attend à une expérience plus large inhérente au digital.

Par exemple, avec la recherche de « couches 10 kg », un site drive propose visuellement entre 10 et 30 références quand l’assistant vocal en pousse une dans le panier pour un historique d’achat, ou bien pour un premier achat il ne propose qu’une à trois références. Si l’utilisateur veut avoir vocalement l’accès à une offre plus large, il doit en faire la demande explicite.

L’étude de Viseo et Roland Berger sur les assistants vocaux explique clairement les nouveaux enjeux du v-commerce sur le référencement des marques afin d’apparaître dans les 3 premiers résultats (et non plus uniquement sur la première page des moteurs de recherche). Les marques leader de marché comme par exemple Pampers sur les couches savent négocier leur présence sur les requêtes majeures et peuvent gagner des positions aux dépens des petites marques comme Love & Green. La « part d’assortiment vocal » des petits acteurs risque donc d’être fortement réduite, ce qui rend d’autant plus urgent pour les petits intervenants challengers d’investir sur ce pan de la distribution.

De même se pose la question de certaines marques utilisées comme des termes génériques dans le langage naturel. Par exemple, lorsqu’un utilisateur demande « 3 rouleaux de Sopalin » (et non pas « 3 rouleaux d’essuie-tout »), est-ce qu’il a directement accès à l’offre de la marque en question ou à celle du leader effectif des essuie tout, Okay? Ou bien est-ce que le distributeur pousse automatiquement sa marque propre ?

Intermarché a également développé son application dans l’assistant Google avec pour objectif de capter les occasions d’achats d’impulsion.

En conclusion, le category manager ne peut plus se cantonner à la définition de sa catégorie et à son rôle joué dans l’enseigne (catégorie de routine, de destination, occasionnelle, d’impulsion…) pour définir sa tactique d’assortiment.

La prise en compte de l’augmentation des points de contacts, des parcours d’achats complexifiés, des nouveaux comportements consommateurs doivent être au cœur de son approche pour définir sa stratégie d’assortiment.

Sources:

Chris Anderson, La Longue Traîne, Comment Internet a bouleversé les lois du commerce, Flammarion 2018

Bourreau, Marc, Sisley Maillard, et François Moreau. « Une analyse économique du phénomène de la longue traîne dans les industries culturelles », Revue française d’économie, vol. volume xxx, no. 2, 2015, pp. 179-216.

Nicholas Blair, Dunnhumby, How retailers can address the paradox of choice, 2019

Clotilde Chenevoy, Vincent Petillo (Les Mousquetaires) : « Le vocal a du sens pour capter les impulsions d’achat« , LSA, avril 2019

Clotilde Chenevoy, Comment Intermarché transforme le métier des category managers avec la data, LSA, février 2020

Pour aller plus loin:

article janvier 2021 sur le site categorymanager.fr, Que réserve 2021 au category management?

2 réflexions sur « L’assortiment, levier amplifié par le digital en grande consommation »

  1. Changement total de sa facon de faire ses courses flanerie achats d’impulsion tout es remis en question dans sa facon de faire ses courses

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